Chronique : Le roadtrip est-il mort ?
GPS, appli météo, batterie externe : bienvenue dans l’aventure sous contrôle
Je me souviens d’un matin d’août, quelque part entre Millau et Mende. Pas de réseau, pas de plan, juste une carte Michelin froissée dans la sacoche réservoir et un estomac qui commençait à grogner. J’étais parti la veille, « pour voir ». Voir quoi ? Aucune idée. J’avais un sac à dos, une vieille Africa Twin de 1994, une tente Décathlon trouée et un sourire de gosse collé sous le casque. C’était ça, le roadtrip : partir sans savoir. Dormir quand on en a marre, manger quand on trouve une ferme auberge et se laver... quand on peut.
Aujourd’hui, quand je vois certains copains préparer leurs virées comme une opération militaire – feuille Excel, réservations Booking, fichiers GPX importés dans trois applis – je me demande : est-ce qu’on n’a pas tué ce qui faisait l’essence du voyage à moto ? Est-ce qu’on ne vit pas une époque où on voudrait programmer l’imprévu ?

La grande illusion de la maîtrise
Il faut dire que tout s’y prête. Les motos modernes sont devenues des PC roulants. Cartographie moteur, contrôle de traction, régulateur adaptatif, suspension pilotée… Même le vent latéral est géré par capteur. Et le motard là-dedans ? Un opérateur assisté, plus pilote automatique que bourlingueur.
Et je ne jette pas la pierre. Qui n’a jamais pesté contre le vent, la pluie, les hôtels complets, les stations introuvables ? Un bon GPS, c’est rassurant. Un chargeur USB, c’est pratique. Et Google Maps a sauvé plus d’un couple d’une dispute sanglante au rond-point de Tulle.
Mais à force de tout vouloir prévoir, on se prive aussi d’une chose essentielle : l’aléa. Ce moment où tu tournes à gauche sans trop savoir pourquoi et où tu te retrouves à boire un café tiède avec un retraité qui roulait en Kawa 900 Z1 en 1975. Ce moment où tu t’arrêtes dans une auberge improbable et que tu partages une omelette aux cèpes avec un couple de Hollandais en Harley.
Le confort tue-t-il le frisson ?
La technologie nous a rendu le voyage plus fluide. Mais elle lui a peut-être aussi retiré un peu de son sel. C’est comme écouter du vinyle après des années de streaming : ça craque, ça saute, mais c’est vivant.
Un roadtrip, un vrai, c’est fait d’incertitudes. D’inconforts. De galères. D’un matelas trop fin. D’un orage surprise en Lozère. D’une station-service introuvable à 23h. Et c’est justement ça qui fait les souvenirs. Parce qu’une nuit au Formule 1 avec le chauffage bloqué à 30°C, ça fait une meilleure histoire qu’un 3 étoiles climatisé à Annecy, non ?
Le problème, ce n’est pas le confort. C’est quand il devient obligatoire. Quand on ne sait plus faire sans. Quand on a besoin d’une appli pour savoir où dormir, quoi visiter, où faire le plein et à quelle heure partir. Et si on arrêtait de tout optimiser ? Et si, une fois de temps en temps, on acceptait juste… de se perdre ?
La peur de l’imprévu ou la perte du goût du risque ?
Soyons francs : on a vieilli. On a mal au dos, aux genoux, on dort moins bien. Et puis on n’a plus 25 ans, plus le temps, plus l’insouciance. Faut penser aux enfants, au boulot, à la maison qu’on laisse. Alors on prépare, on anticipe. On verrouille. Mais est-ce vraiment une fatalité ?
J’ai vu des gars de 60 piges partir en Royal Enfield Himalayan avec une tente, un réchaud et un canif. Pas pour faire le tour du monde. Juste trois jours dans les Cévennes, sans programme. Et ils en sont revenus les yeux brillants comme des mômes. Parce que le vrai roadtrip, c’est pas une destination. C’est une posture. Une manière de dire : « Je ne maîtrise pas tout et c’est tant mieux. »
Retrouver le goût du hasard
Et si, cet été, on lâchait un peu prise ? Si on remettait la carte papier dans la sacoche ? Si on partait avec juste une envie et deux sous d’essence ? Loin des circuits touristiques. Loin des circuits tout court. Pas besoin d’aller en Mongolie. Un détour en Corrèze ou une route oubliée dans le Morvan, ça suffit souvent à sentir à nouveau cette vibration qui ne vient pas du moteur, mais de l’intérieur.
On peut garder son smartphone, d’accord. Mais le laisser au fond du sac. S’en servir quand il faut. Pas pour tout.
Et puis ne rien réserver. Oui, ça fait peur. Mais c’est là que le voyage commence.
Partir pour mieux se retrouver
Le roadtrip est-il mort ? Non. Il s’est assoupi, anesthésié par le confort moderne et l’obsession du contrôle. Mais il suffit de pas grand-chose pour le réveiller : une envie, une route, une bribe de liberté.
Parce qu’au fond, la moto, c’est ça : accepter de ne pas tout savoir, ne pas tout prévoir. C’est faire confiance à la route et à soi. C’est prendre un virage sans savoir ce qu’il y a derrière.
Alors cet été, laissez tomber l’appli météo. Prenez une carte, une vieille bécane si vous en avez une, ou même une moderne, on s’en fout. Et partez. Pour n’importe où. Mais vraiment. Sans plan.
Et n’oubliez pas : plus le chemin est flou, plus les souvenirs sont nets.
Commentaires
Je pense que c'est surtout une question d'âge ... A 70 balais , je n'ai plus les mêmes priorités qu'à 30 , je préfère savoir que je vais bien dormir et manger le soir et me gaver de paysages et de lieux toute la journée sans avoir à chercher ma route et stopper tous les 50 km , parce que le corps a ses exigences ...Quand j'avais 30 ou 40 ans de moins , je paartais également "la fleur au fusil" , un sac sur la selle et ma vaillante 350 DR puis 650 DR sur les routes d'Europe , dormir n'importe où et manger n'importe quoi , à rouler sans bien savoir vers où...
29-07-2025 08:44Mais voyager avec un GPS et des réservations n'empêche aucunement de faire des rencontres parfois pittoresques , parfois mauvaises , mais toujours enrichissantes !
Juste qu'on se permet le luxe d'être plus serein en fin de journée...
Et puis ce mot "roadtrip" que je déteste , quand les mots "balade" , "virée" ou "voyage" sont tellement plus évocateurs .....
Ohhhh vous reprendrez bien une grosse louche de technophobie?
29-07-2025 09:07Et si ce maudit GPS permettait précisément de passer par de petites routes insoupçonnées que jamais un panneau routier aurait permis de trouver?
Et si ce satané Maps était celui qui arriverait à trouver cet improbable resto restant encore vivant, paumé au milieu de nul part?
Hum?
Non, hein.
Restons dans le négatif, et traitons les motards modernes de péquins assistés, c'est bien plus valorisant. Et comme cela, une bonne partie du lectorat ne se sentira pas du tout insultés sinon ostracisés.
De mon coté, je découvre bien plus en préparant un itinéraire à l'avance qu'en avançant au hasard... hasard qui fait que, immanquablement le stress de trouver un ravitaillement pour la moto va me rattraper, et la faim après avoir traversé une dizaine de villages sans commerce ni troquets me fera irrémédiablement lire les rares panneaux routiers fléchant vers de sordides nationales départemantalisées rectilignes, dégagées de toute âme et arbres, et jonchées de pièges photographiques. Ah oui, ça aussi c'est démoniaque, un avertisseur de bêtises, style passer à 55km/h au lieu de 50 et recevoir un souvenir payant de ce joli roadtrip passant par ces villages finançant l'infrastructure d'accès à internet avec la pose d'un radar.
Et comme si nous nous trouvions contraints de suivre de manière lobotomisée les indications GPS sans prendre d'initiatives.
Est ce que le rot de tripes sent mauvais c'est la question.
29-07-2025 09:57Blague à part j'aime bien l'improvisation et la philosophie de l'émission j'irai dormir chez vous.
Après ça dépend du contexte, seul, pas pressé sans oublier la sécurité.
Bonjour,
29-07-2025 10:20ce n'est pas si binaire, je mixe GPS (DMD2, top au passage) et choix des chemins au feeling tout en connaissant ma destination, je découvre, fais demi-tour, reviens, repars sans me perdre grâce à cette technologie (Je rejoins Ludo51: honnêtement à 59 piges j'ai moins envie de dormir dehors sous la pluie et le froid).
J'utilise la techno comme garde fou uniquement. Je n'ai pas le sentiment d'avoir perdu quelque chose par son apparition, au contraire.
Bonnes virées à toutes et tous!
Comme il commence à nous en donner l'habitude, Chris décrit une vision nostalgique du monde, la sienne : "tout fout le camp".
29-07-2025 10:55Elle est respectable, comme le sont celles des ultra-connectés : chacun ses angoisses, chacun ses remèdes.
Il y a ceux qui ne partiraient jamais seuls, et eux qui ne partiraient jamais en groupe.
Ceux qui avalent les kilomètres, ceux qui se promènent.
Ceux qui roulent en ordi sur roues, ceux qui préfèrent le charme des vieilles mécaniques.
Ceux qui anticipent tout, ceux qui partent à l'aventure totale.
Et alors ?
Il faut de tout pour faire une communauté. Et respecter ceux qui ne font pas... le même trip.
Faut arrêter de croire que vous passez pour des héros à vous priver bêtement de confort.
Ah et bien avec un discours comme celui-ci nostalgique d'une époque qu'aucun jeune n'envie, je comprends mieux quand j'entends des "vieux" motards nous dire que nous les jeunes, on n'a rien vécu de la moto, on ne sait pas ce que c'est blablablabla...
Non, c'est clair que si je pars en vacances avec ma moto pour découvrir de chouettes paysages en étant suffisamment reposé pour marcher un peu en plus des kilomètres parcourus derrière mon guidon, j'envisage autre chose que dormir comme un clochard dans un hôtel pouilleux.
En rentrant d'un tour, j'ai envie que mes souvenirs me rappellent la beauté des paysages, des routes, les coins ou je me suis arrêté manger.
Pas les "galères" qui sont glorifiées ici.
Après si votre délire c'est de vous réveiller crevés dès le matin car vous avez dormi à l'arrache et de ne pas pouvoir vous laver, grand bien vous fasse, mais je ne vois pas en quoi ça c'est un "vrai" roadtrip.
Le retour à la simplicité avec des vacances simples à se promener gentiment en découvrant des lieux sympas sans forcément manger du homard et du caviar à tous les repas je dis oui, mais on n'est plus au moyen-âge, les vacances n'ont pas forcément besoin de ressembler à un départ en croisades.
Pis d'ailleurs Chris Haunt, tu tombes bien dans l'abus avec ta nostalgie parce qu'avec tes "deux sous d'essence", et beh en 2025 tu n'iras pas bien loin. 29-07-2025 11:36
Un road trip je viens d'en terminer un de 4000 bornes et quand j'ai sorti ma carte routière ma fille s'est foutue de moi. Quoi tu n'as pas de GPS? Si mais je ne m'en sers pas, quant au GPX je ne sais même pas ce que c'est. Mais ce que je sais moi c'est que je ne me suis jamais perdu avec mes cartes.
29-07-2025 12:27On perd du temps à la déplier, ça demande un petit exercice de mémoire mais on fait une petite pose et on visite une chapelle abandonnée.
On est pas des vieux cons, nous sommes pragmatiques et curieux et pour la carte pas besoin de port USB et pourtant j'ai encore découvert deux pépites routières mais comme pour les champignons je ferme ma gueule.
Je n'ai pas envie que des furieux viennent y faire le con.
Le motard est parfois égoïste ou lucide.
Revenir à l'essentiel c'est pour moi le meilleur d'une virée et improviser car on trouve toujours à boulotter et à dormir.
Il a raison le Chris, le son analogique c'est le meilleur, c'est chaleureux comme un feu de bivouac. Se gourer d'itinéraire aussi et faire des rencontres avec des soirées mémorables a essayer de retrouver le son des Doors sur un vieux Wurlitzer. Ne pas oublier de boire un canon avec l'omelette aux cèpes.
Il n'est même pas question de mort ou pas mort. Nous jeunes, on ne part plus en voyage on est trop occupé à bosser pour alimenter la retraite des seniors qui eux peuvent se permettre d'aller en profiter. Et si tant est qu'on ait le temps, avec quelle thune on partirait ?
29-07-2025 12:40Sinon, quelle chronique de boomer, tu me diras, ça semble être en raccord avec les lecteurs du RDM
Colonel* Richou, une Roadmaster c'est pas franchement une moto de prolétaire, hein. Revends-là, achète une Himalayan, et tu pourras t'en payer des nuits au camping !
29-07-2025 13:44Pour recentrer le débat, je prépare mes itinéraires avec une carte Michelin, en suivant les routes vertes. Le GPS, c'est uniquement pour me guider sur le dernier km pour trouver le camping/ la station-service. Mais faire tout le trajet le nez collé à l'écran, c'est non. Et puis, faire mon itinéraire des semaines avant avant de partir, c'est déjà être en vacances...
*marrant, les colonels que j'ai connu avaient tous les cheveux gris...
Si vous voulez decouvrir les meilleures routes tapez sur le net: Les meilleures routes de Dugom ; )
29-07-2025 14:14[www.motorun.net]
Je fais un peu de tourisme en famille et le plus souvent du voyage seul ou à deux. J’ai jamais fait voyager mes filles dans le luxe mais jamais non plus dans la galère, le temps ensemble étant trop précieux pour s’emmerder. En moto, seul ou à deux jamais de GPS mais l’étape du soir toujours planifiée et réservée. Juste l’ABS sur la moto, pas d’intercom. On s’arrête pour discuter et c’est bien comme ça. On se rattrape le soir. Seul j’aime bien prendre le temps. Je prévois pas de distance trop importante pour pouvoir bifurquer si j’en ai envie en suivant les panneaux qui indiquent les lieux « patrimoine » par exemple ou en suivant une rivière. Chacun fait comme il veut. Je ne prends plus l’avion. M’en fout d’aller au bout de la terre en quelques heures. Je préfère y aller en plusieurs semaines mais j’ai pas encore trouvé le temps de le faire. Une année sabbatique à financer. Quant au débat jeune/vieux c’est aussi nase qu’ancien et moderne. Tous les vieux ont été jeunes et tous les jeunes deviendront vieux. J’ai pas fait mieux que mon père et je pense pas faire pire que mes gosses non plus.
29-07-2025 14:42Le Repaire des motards, repaire de vieux? serait-ce aussi le repaire des aigris avant l'heure?
29-07-2025 14:57Moi aussi quand je voyais les potes partir en retraite, j'avais un petit pincement au coeur et puisque tout est de notre faute et ben on continue mon colonel.
Exactement ce qui est décrié par cette chronique! 29-07-2025 15:48
Attend Colonel, je sors les kleenex.

29-07-2025 15:50Allez colonel, sors-en encore une comme ça. Tu me fais tellement rire.
29-07-2025 15:55La roadmaster c'est peut être que dans ses rêves...
Un troll ça raconte n'importe quoi non ?
S'il commence comme ça jeune, le colonel finira en sacré vieux con quand il aura l'âge de la retraite.
29-07-2025 19:39Je n'ai pas les sous pour m'acheter une Indian, mais je ne suis pas aigri :)
Même à plus de 60 ans, je refuse de voyager comme une valise !
En fonction de l'heure, il indique la direction générale

29-07-2025 20:06En dépit de l'évolution technologique, la recette n'a pas changé depuis que je suis parti avec ma 125 pour rejoindre ma petite amie à la Pointe du Raz :
1/ Prendre une carte papier et regarder où l'on va.
2/ Se rappeler les grandes directions.
3/ Voir avec un peu plus de détail pour les tout prochains kilomètres.
Avec quelques noms en tête, la première boussole se trouve accrochée bien haut : cela s'appelle le soleil
Pour affiner, les panneaux indicateurs ont permis à des générations de voyageurs de se repérer. Les cartes étant toujours disponibles en cas de doute.
Je n'ai pas de GPS ailleurs que dans le ML. Celui du téléphone est utilisable en cas d'urgence.
Quant au risque de panne d'essence, il incite à faire des arrêts de précautions qui se transforment souvent en découvertes, ainsi qu'à gérer sa conduite (plutôt que sa « consommation »).
Qui plus est, la recette peut s'appliquer aux quatre roues. Du moins celles qui conservent le même état d'esprit que la moto.
Par exemple, lorsque j'ai retrouvé à Magny-Cours une amie qui remontait d'Aquitaine, j'ai réalisé qu'avec ses coffres, top-case et sacoche-réservoir, sa V-Strom avait plus de capacité de chargement que ma Lotus Seven !