Chronique : Moto et environnement

Faut-il rouler vert pour rester libre ?

J’ai vu ce jour-là un vieux trail à carbus garé devant une borne électrique. Une Transalp un peu rincée, valises alu cabossées, autocollants fanés d’un tour de France ou d’un rêve de Bolivie. À côté, une trottinette dernier cri se rechargeait sagement, comme un chiot obéissant. Et moi, casque à la main, j’ai soupiré. Pas à cause du contraste. À cause de la question que je me posais depuis trop longtemps : est-ce qu’on a encore le droit d’aimer la moto... sans être un pollueur ?

La liberté a-t-elle une empreinte carbone ?

Faut dire ce qui est : on n’a pas choisi la passion la plus éco-friendly. La moto, ça pue, ça fait du bruit, ça consomme et ça fout parfois les marmottes en PLS. Pas facile à défendre dans un dîner bobo à base de quinoa tiède et d’eau plate engagée. Mais merde… on n’est pas des délinquants climatiques pour autant.

Parce que derrière chaque motard que je connais, il y a un rapport presque sacré à la nature. Les routes de montagne au lever du jour. Les pins qui défilent sous le casque. Les odeurs de terre après l’orage. On roule pour ça, pas pour enfumer des bébés phoques. Alors oui, la moto pollue. Mais elle fait aussi partie de ces rares moyens de transport qui reconnectent au monde, plutôt que de nous en couper.

Le paradoxe de la conscience tardive

Quand j’avais 20 ans, je m’en foutais. L’huile coulait, les pots hurlaient et je pensais que l’ozone c’était un groupe de musique. Aujourd’hui, j’ai 52 balais, deux enfants, un composteur dans le jardin et une appli pour calculer mes émissions carbone. Comme beaucoup de quinquas, je suis passé de "j’accélère à fond" à "je trie mes pots de yaourt".

Mais trier n’empêche pas de vibrer. Et si on commençait à penser la moto comme un plaisir à optimiser, pas à renier ? Réduire les trajets inutiles. Soigner l’entretien. Choisir un modèle sobre, ou au moins réversible. Faire gaffe, sans se flageller.

Entre greenwashing et vrai virage

Les constructeurs l’ont bien compris : il faut verdir le discours. Alors on nous sert de l’électrique sauce premium, des concepts bikes dignes d’un film Marvel et des scooters silencieux comme des aspirateurs. C’est joli sur le papier. Mais pour beaucoup d’entre nous, c’est encore hors sol. L’électrique, oui. Mais pas à n’importe quel prix, ni au mépris de ce qui fait une moto : l’émotion.

Parce qu’une moto, ce n’est pas juste un moyen de transport. C’est un moyen de ressentir. Si demain tu me files un drone autonome qui vibre pas, qui sent rien, qui pèse un âne mort et qui me parle comme Siri… je te le rends. J’ai pas signé pour ça.

Rouler moins, mais rouler mieux ?

La solution est peut-être là. Pas dans l’abandon. Pas dans l’hypocrisie. Mais dans l’équilibre. Faire moins de bornes, mais de meilleures. Privilégier les petites routes aux bouchons. Le roadtrip réfléchi au run mécanique. Et transmettre une culture de la moto qui ne soit pas que vrombissante, mais aussi respectueuse.

On peut aimer la vitesse sans être aveugle. On peut chérir les grands espaces et vouloir qu’ils restent là pour les mômes. Et on peut aussi dire merde à ceux qui veulent nous coller une étiquette au motif qu’on a encore de l’huile dans les veines.

Laisser une trace… sans tout salir

Alors non, je ne vais pas troquer ma vieille Africa Twin contre une trottinette. Pas demain, pas dans dix ans. Mais je vais continuer à réfléchir. À doser. À évoluer, à ma manière. Comme on ajuste une vis de richesse. Parce que la passion, ça ne se nie pas. Ça se canalise.

Et si un jour mes gosses me demandent pourquoi je continue à rouler, je leur dirai : parce que c’est ça, vivre. C’est faire des choix imparfaits, mais honnêtes. C’est aimer fort, même quand c’est compliqué. Et c’est surtout comprendre que la liberté, la vraie, c’est pas de faire n’importe quoi. C’est de faire ce qu’on aime… en en mesurant la portée.

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